RÉHABILITER C'EST RESTAURER L'ESTIME

Article de Younès Maïza et Tarek Benmohamed, Lettre du Congrès

Redonner au Ksourien un espace où il exprime toute la beauté de sa vision du monde, créer les conditions pour que ce patrimoine exceptionnel puisse transmettre ses enseignements et ses richesses aux populations d'aujourd'hui, telle est la mission que s'est donnée la Fondation des Espaces Ksouriens.

par Younes Maiza

Younès Maïza et Tarek Benmohamed sont architectes. Ils ont créé la Fondation des Espaces Ksouriens, ces villages en terre situés dans les oasis du Sud de l'Algérie.

En 2001 Benoît Dargent et Michèle Cotten sont invités par le directeur de l'Ecole d'Architecture d'Oran à une semaine d'étude sur la politique de Réhabilitation du Patrimoine en Algérie.

Ils y rencontrent Younès Maïza et Tarek Benmohamed, architectes-fondateurs de la Fondation des Espaces Ksouriens, ces villages en terre situés dans les oasis. Depuis, ils partagent une même passion pour un art de bâtir ajusté à l'homme.

RÉHABILITATION DU KSAR DE TAGHIT

Taghit se situe au sud-ouest de l'Algérie, dans la vallée de la Saoura. Son espace territorial se compose de trois ensembles naturels morphologiquement différents, le reg, plateau rocailleux, l'erg occidental, vaste étendue de dunes de sable, et une dépression qui traverse longitudinalement cet ensemble, séparant l'erg du reg.. Ancien village fortifié, le ksar de Taghit est bâti sur la pointe de l'éperon rocheux qui tombe à pic sur l'oued Zousfana. Les habitations en architecture de terre y sont groupées dans un enchevêtrement paraissant à première vue inextricable, au milieu duquel la mosquée dresse son minaret. On pénètre dans le ksar par une unique porte qui s'ouvre dans sa partie haute, nous entraînant dans un dédale de ruelles qui se faufilent entre les maisons, montant, descendant, changeant brusquement de direction selon les caprices du sol et le génie des bâtisseurs. Certains passages sont entièrement couverts ; il y règne souvent une obscurité garante de l'intimité des lieux. Un espace un peu plus large dénommé Rahba, lieu d'expression, de fête et de réunion, sert d'élément régulateur du ksar et du groupement humain. Le ksar donne une impression de densité et d'unité par le regroupement, confortée par l'existence d'un rempart.

Ces ksour de la Saoura, jusqu'à ceux du Touât et du Gourara, produisent une espèce de fascination, de la séduction exercée sur le simple touriste à l'intérêt passionné de l'anthropologue, de la quête de l'historien à l'enquête du géographe arpentant les espaces solitaires de l'erg occidental, des investigations du sociologue qui scrute une société pétrie par l'eau et le sable, à l'architecte perplexe devant l'harmonie d'un habitat ocre sorti de terre et tranchant sur le vert de la palmeraie.

Cet urbanisme est le fruit d'une situation privilégiée. Autrefois, les oasis de la Saoura, du Gourara et du Touat étaient situées sur les voies de communication trans-sahariennes qui structuraient le territoire, qu'elles soient commerciales comme les pistes caravanières du sel et de l'or vers l'Afrique, ou bien celles des confréries religieuses reliant l'Afrique du nord à la Mecque. L'échange des biens et des idées a suscité une culture unifiée sur toutes les oasis sahariennes. Les techniques d'irrigation et des foggaras, les techniques de construction, les langues, l'écriture et les coutumes témoignent d'un art de bâtir et de vivre tout en cohérence avec le milieu oasien. Les signes en sont de nos jours toujours visibles et vérifiables.

Si la valeur et la nécessité de sauvegarder ce patrimoine, à la fois conquête sur le désert, adaptation remarquable à l'environnement et foyer culturel et de pouvoir, sont unanimes, la population locale ne semble malheureusement pas partager l'émerveillement que suscitent chez ces témoins les ksour et leurs palmeraies.

Inconscience de jouir d'un privilège, évolution des habitudes et des aspirations ou simple usure du temps ?

Redonner au ksourien un espace où il exprime toute la beauté de sa vision du monde, créer les conditions pour que ce patrimoine exceptionnel puisse transmettre ses enseignements et ses richesses aux populations d'aujourd'hui, telle est la mission que s'est donnée la Fondation des Espaces Ksouriens.

Ses activités visent :

À reconstruire une image négativisée de l'habitat en terre en organisant des échanges nationaux et internationaux, sous forme d'ateliers ou de chantiers expérimentaux pour des associations ou des universités.

À former aux métiers de la construction de terre. Un chantier-école est ouvert et des sessions forment des jeunes artisans, apportant un contenu technique et scientifique à la connaissance empirique transmise de génération en génération.

À valoriser les métiers féminins traditionnels de tissage et de vannerie à travers un apport en matériel et matériaux avec un encadrement. Les ateliers sont regroupés en coopératives de production et commercialisation des produits.

À former et informer sur les structures associatives à travers des ateliers de montage de projets.

À requalifier les ksouriens souvent victimes d'une perte d'identité ou d'un complexe vis à vis d'une « modernité » souvent très mal vécue. Une série de publications d'ouvrages artistiques destinés au grand public met en valeur les atouts des espaces ksouriens.

Notre expérience dans le développement communautaire et la lutte contre la pauvreté, nous amène à croire que si nous faisons appel à tout ce qu'il y a de beau dans l'être humain, les résultats sont au-delà de ce que nous pouvons prévoir. S'il y a une valeur universellement partagée au-delà des lieux et des cultures c'est bien la beauté.